Les Pronoms Personnels de Troisième Personne en Français et en Italien
Los pronombres personales de tercera persona en francés e italiano
The Third-Person Pronouns in French and Italian
Samuel Bidaud1
1 Université de Bourgogne, Dijon, Francia. Correo electrónico: samuel.bidaud@aliceadsl.fr
Artículo recibido el 2 de diciembre de 2013 - aprobado el 30 de octubre de 2014
Résumén
Nous étudions dans cet article les pronoms personnels de troisième personne du français et de l'italien dans une perspective psychomécanique. Nous commencerons par voir que les pronoms personnels de troisième personne peuvent être sémiologiquement identiques à des déterminants et qu'ils viennent après ces derniers dans l'idéogénèse, puis nous situerons les pronoms personnels de troisième personne par rapport aux pronoms personnels de première et de deuxième personne, et nous verrons que les pronoms personnels de troisième personne peuvent appartenir au plan nominal ou au plan verbal. Nous étudierons ensuite de façon détaillée les pronoms personnels de troisième personne du français et de l'italien, et nous nous intéresserons plus particulièrement aux pronoms français y et italien ci dans une dernière partie.
Mots clé: Pronoms personnels de troisième personne; français; italien; psychomécanique du langage.
Resumen
Estudiamos en este artículo los pronombres personales de tercera persona del francés y del italiano en una perspectiva psicomecánica. Veremos para empezar que los pronombres personales de tercera persona pueden ser semiológicamente idénticos a los determinantes y que vienen después de éstos en la ideogénesis, luego situaremos los pronombres personales de tercera persona en cuanto a los pronombres personales de primera y segunda persona, y veremos que los pronombres personales de tercera persona pueden pertenecer al plano nominal o al plano verbal. Estudiaremos después de manera detallada los pronombres personales de tercera persona del francés y del italiano, y nos interesaremos más específicamente por los pronombres francés y e italiano ci dentro de una última parte.
Palabras clave: Pronombres personales de tercera persona; francés; italiano; psicomecánica del lenguaje.
Abstract
We study in this article the French and Italian third-person pronouns from a psychomecanical point of view. To begin with, we will see that the third-person pronouns can be semiologically identical to determiners and that they come after these ones in the ideogenesis, then we will situate the third-person pronouns in relation to the first and second-person pronouns, and we will see that the third-person pronouns can belong to the nominal or to the verbal plan. We will study afterwards more precisely the third-person pronouns in French and Italian, and we will observe specifically the French pronoun y and the Italian pronoun ci in a last part.
Keywords: Third-Person Pronouns; French Language; Italian Language; Psychomecanics of Language.
Nous nous intéresserons dans cet article aux pronoms personnels de troisième personne en français et en italien, notamment à partir de la psychomécanique du langage. Après avoir résumé les principes fondamentaux de cette dernière, nous commencerons par souligner que les pronoms personnels de troisième personne ont bien souvent une sémiologie identique à celle de l'article ou d'un autre déterminant, ce qui s'explique par le fait que ces pronoms forment avec les déterminants un système où, en chronologie de pensée, les déterminants sont des éléments d'avant et les pronoms personnels de troisième personne des éléments d'après. Nous nous efforcerons par la suite de situer les pronoms personnels de troisième personne par rapport aux autres pronoms personnels, et nous préciserons que les pronoms personnels de troisième personne peuvent appartenir au plan nominal ou au plan verbal. Suite à ces considérations qui se fonderont très largement sur les travaux de Gustave Guillaume et de Gérard Moignet, nous étudierons de façon détaillée les pronoms personnels de troisième personne du français et de l'italien, et nous verrons pour finir quelle est la spécificité des pronoms y et ci.
Quelques principes de psychomécanique du langage
Nous commencerons par résumer quelques-uns des grands principes de la psychomécanique du langage. Si cette dernière est aujourd'hui très largement utilisée en linguistique française et hispanique, elle est en revanche peu connue en dehors de ces deux domaines.
La psychomécanique est une linguistique de l'acte de langage intégral, puisqu'elle a pour objet d'étude non seulement la langue et le discours, mais également la transition de la langue au discours (Monneret, 2003, pp. 13-14). Il s'agit donc aussi bien de reconstituer les systèmes qui se trouvent au niveau de la langue que les étapes par lesquelles passe le locuteur pour transformer la langue en discours, la langue étant un avant préconstruit du discours (sur les relations entre la langue et le discours, voir Guillaume, 1982, pp. 22-23 ; Guillaume, 1974, p. 30 ; Guillaume, 1973, p. 158).
Dans cette perspective, l'acte de langage se construit progressivement, durant un temps infiniment court mais réel, le temps opératif. C'est là quelque chose de logique: produire une phrase, et donc des mots, c'est-à-dire passer d'un vouloir-dire à un dit effectif, requiert nécessairement du temps, ce dernier dût-il être imaginé infiniment court, comme le note Roch Valin (1955, pp. 23-24):
si l'acte humain de langage recouvre une activité pensante quelconque, il est forcé que les opérations de pensée impliquées dans cette activité s'accompagnent d'un écoulement minimal de temps. Dût-il être imaginé infinitésimalement court, ce temps existe réellement et positivement. Autrement dit, et pour exprimer le principe en une formule familière souvent employée par M. Guillaume dans ses leçons, il faut du temps pour penser comme il faut du temps pour marcher.
Le mot (la psychomécanique du langage est une linguistique du mot, comme on le répète souvent) se construit dans les langues indo-européennes à partir de deux mouvements de pensée qui se font suite. Le premier mouvement de pensée constructeur du mot est un mouvement de pensée particularisant: on part de l'univers du pensable, et on isole à l'intérieur de cet univers une notion singulière, par exemple la notion de livre. Mais au terme de ce premier mouvement de pensée, l'idée isolée n'a pas encore de forme. Cette forme va donc lui être donnée par un second mouvement de pensée, durant lequel la notion de livre va recevoir une incidence, un genre, un nombre et, finalement, une partie du discours. Ce second mouvement de pensée est un mouvement de pensée universalisant, puisque la notion qui avait été isolée est reversée dans une catégorie générale d'entendement (Guillaume, 1988, p. 20 ; Guillaume, 1984, pp. 87-98). Précisons que ce double mouvement de pensée de l'universel au singulier et du singulier à l'universel structure de nombreux faits de langue (l'exemple le plus connu est probablement celui de l'article).
La psychomécanique du langage nomme idéogénèse le mouvement de pensée constructeur du sens du mot, et morphogénèse le mouvement de pensée constructeur de la forme du mot. Mouvement de pensée constructeur du sens et de la forme: tout est cinétique, et cinétisme qui s'inscrit dans le temps infiniment court qu'est le temps opératif. Le sens et la forme se créent donc progressivement. Or, du fait même qu'il se construit progressivement, le sens peut être interrompu plus ou moins tôt dans son déroulement. Prenons l'exemple du verbe faire. Ce verbe signifie, lorsque son sens est complètement construit, fabriquer. Mais la pensée peut ne pas aller jusqu'à l'idée de fabriquer, l'idéogénèse peut être interrompue précocément, et faire ne gardera alors de fabriquer qu'une idée vague, par exemple la simple notion d'activité lorsque faire est vicariant, c'est-à-dire quand il remplace d'autres verbes, comme dans: Vous êtes gentil de m'aimer, mais vous le seriez aussi de me tutoyer, comme vous l'aviez pro-mis et comme tu avais commencé de le faire (Marcel Proust, Du côté de Guermantes, d'après Frantext ; sur le verbe faire vicariant, voir Moignet, 1974). Faire sera alors subduit (Gustave Guillaume parle de subduction ; sur cette notion, se reporter par exemple à Guillaume, 1984, pp. 73-86).
On voit donc que faire n'a pas, au niveau de la langue, tous les signifiés que l'on trouve dans le dictionnaire, mais un seul signifié, un signifié de puissance, qui n'est rien d'autre que ce mouvement de pensée qui conduit jusqu'à l'idée de fabriquer. C'est là l'une des hypothèses de la psychomécanique du langage: un signifiant ne peut avoir qu'un seul signifié (du moins pour les morphèmes), et ce signifié de langue peut donner lieu à des effets de sens discursifs en théorie illimités (tous les emplois particuliers de faire, pour reprendre notre exemple ; sur le signifié de puissance, voir Monneret, 2003, p. 18).
Disons pour finir quelques mots de la notion d'incidence. L'incidence désigne « un mécanisme d'apport notionnel à un support » (Cervoni, 1991, p. 65), et elle peut être interne ou externe. Elle est interne dans le cas du substantif: la notion de livre ne peut se dire que d'elle-même. Elle est externe au contraire dans le cas du verbe et de l'adjectif, qui doivent chercher un support en dehors d'eux-mêmes: lire et émouvant dans je lis un livre émouvant ne peuvent se dire respectivement que de je et de livre. Enfin, l'incidence est externe du deuxième degré dans le cas de l'adverbe, qui peut se dire d'un verbe (elle m'a parlé gentiment) ou d'un adjectif (elle a été très gentille avec moi), et qui est donc incident à une incidence, ou même externe du troisième degré dans le cas où l'adverbe qualifie un autre adverbe (elle m'a parlé très gentiment).
Les pronoms personnels de troisième personne en psychomécanique du langage
Pronoms complétifs et pronoms supplétifs
On ne peut qu'être frappé de voir que les pronoms personnels de troisième personne sont souvent identiques du point de vue sémiologique à l'article ou à un autre déterminant: que l'on songe, en ce qui concerne le français, aux pronoms personnels complément d'objet direct le, la, les, et aux articles correspondants, ou au pronom complément d'objet indirect de troisième personne du pluriel leur et au déterminant possessif leur, ou que l'on songe, en ce qui concerne l'italien, à lo ou la, pronoms personnels complément d'objet direct et articles, à gli, pronom personnel complément d'objet indirect de la troisième personne du singulier mais également, dans la langue parlée, du pluriel, qui est également un article défini pluriel, ou à loro, qui peut être aussi bien au pluriel pronom personnel complément d'objet indirect que pronom personnel sujet, et qui est également déterminant possessif. Le psychisme a donc réuni sous une même sémiologie des éléments qui lui paraissaient liés. C'est ce que constate Gustave Guillaume quand il développe l'idée qu'il existe des pronoms complétifs et des pronoms supplétifs (Guillaume, 1982, p. 48):
Il arrive que les mêmes mots servent de pronoms supplétifs et de pronoms complétifs. Par exemple:
Regardez le ciel. - Je le regarde.
Observez les étoiles. - Je les observe.
Où est la rivière ? - Je vous la montrerai.
Nous allons rappeler brièvement la théorie guillaumienne des pronoms complétifs et supplétifs. Gustave Guillaume définit ainsi les deux catégories (1982, pp. 47-48):
La catégorie du pronom prise en son entier, comprend des pronoms de deux sortes: les uns supplétifs, se suffisant en discours à eux-mêmes, les autres complétifs, ne se suffisant pas à eux-mêmes et exigeant d'être accompagnés d'un nom.
Les pronoms il, je, tu, le, me, lui etc., etc... - je cite au hasard - sont supplétifs, ils se suffisent à euxmêmes: Je parle, tu travailles, il m'ennuie, il lui explique etc., etc...
Les pronoms possessifs mon, ton, son, les démonstratifs ce, cet, les articles, sont des pronoms < complétifs >. Ils requièrent dans l'emploi l'adjonction d'un nom: mon livre, ce tableau, la table.
Rappelons également que les pronoms complétifs ont une incidence interne proche de celle du substantif, et que les pronoms supplétifs font suite à une incidence déjà terminée (Guillaume, 1982, p. 56), ce qui signifie que les pronoms complétifs sont un avant des pronoms supplétifs.
Le pronom personnel de troisième personne et les autres pronoms personnels
Comment situer le pronom personnel de troisième personne par rapport aux deux autres pronoms personnels ?
Le français connaît deux emplois de la troisième personne du singulier au masculin: un emploi impersonnel, dans des verbes du type Il pleut, et un emploi personnel. Si dans le premier cas il a pour fonction de permettre l'incidence du verbe à l'espace, puisqu'en français, si l'on excepte l'impératif et des cas comme faut le faire (Moignet, 1981, p. 92), le verbe doit forcément trouver son incidence dans un nom ou un pronom détaché, dans le deuxième cas, il est pronom personnel et peut reprendre un antécédent. Gérard Moignet écrit au sujet du il impersonnel (1981, p. 93):
Le pronom il utilisé n'évoque aucun être dont il soit question dans le contexte, à la différence de il rappelant un substantif déjà énoncé ou présent dans la situation, ou parfois anticipant la production d'un substantif dans la suite du discours (il travaille, ce garçon). Il représente purement et simplement le support spatial nécessaire à tout phénomène s'inscrivant dans le temps. À ce titre, il constitue bien le support de causation, l'opérateur du phénomène, c'est-à-dire le sujet du verbe.
La différence avec le cas du pluripersonnel est que ce support spatial n'est pas notionnellement différent et isolable du phénomène en cause ; il n'en est que l'instant initial, le point de départ, l'attache à l'univers. C'est pourquoi la psycho-systématique voit en lui le signe de la « personne d'univers », l'univers étant le lieu inévitable où se situe toute espèce de phénomène, et tout phénomène étant une parcelle d'univers.
On a donc une opposition entre une personne d'univers qui n'a aucune fonction de représentation, et une personne qualifiée de personne de sémantèse qui, elle, peut représenter aussi bien un antécédent inanimé qu'animé.
Ces explications, que nous reprenons très largement à Gérard Moignet, nous permettent de voir à présent quelle est la place du pronom personnel il par rapport aux autres personnes, je et tu.
La psychomécanique du langage parle souvent du face-à-face de l'homme et de l'univers. Le locuteur, en face de ce dernier, est obligé de se positionner, et il ne peut se positionner que comme un être particulier dans l'univers. Cet être particulier est le résultat d'un mouvement de pensée de singularisation qui permet au locuteur de s'isoler de la masse de l'univers grâce à la première personne, le je. Si le il d'univers représente donc un universel à l'intérieur duquel la personne n'a pas encore trouvé de place, je, au contraire, représente la personne qui s'est particularisée. La deuxième personne vient après la première: pour qu'il y ait tu, il faut qu'il y ait déjà je. Ces deux premières personnes ont la particularité d'être des personnes de discours: la première personne est une personne qui parle, et qui parle d'ellemême, et la deuxième personne est une personne à qui l'on parle, et à qui l'on parle d'elle-même. Derrière la première et la deuxième personne, on retrouve donc la troisième personne, comme l'a montré Gustave Guillaume (voir par exemple Guillaume, 1982). Il faut par conséquent distinguer à l'intérieur de la catégorie de la personne une personne dont on parle et une personne d'un rang particulier dans la situation de communication (Guillaume, ibid., p. 56):
Une langue comme le français a constitué un système de la personne dont l'analyse repose sur des distinctions < maintenant connues >, à savoir:
1°) la personne dont il est parlé, qui est toujours présente, et que nous nommerons la personne objective ;
2°) l'intitulé ordinal de la personne objective. Cet intitulé ordinal assigne à une personne objective un rang, issu du rapport interlocutif existant dans l'acte même de langage.
Quelle est la situation de la troisième personne ? Gustave Guillaume note que cette dernière est une personne dont il est parlé, mais qu'elle n'est pas une personne de l'acte de langage: « La troisième personne résulte, d'une manière générale, de ce que la personne objective, celle dont il est parlé, ne reçoit pas d'intitulé ordinal » (Guillaume, ibid.).
La troisième personne est donc un après de la première et de la deuxième personne, puisque, contrairement à ces dernières, elle n'est plus qu'une personne dont on parle, et qui ne fait donc pas partie de l'acte de langage. Gérard Moignet résume ainsi le système de la personne en français (1981, p. 94):
La personne d'univers constitue donc un avant systématique de la personne de sémantèse. C'est une personne de première tension, allant du large à l'étroit. Au terme de la cinèse qui la porte, se construit en pensée la personne avec laquelle elle contraste fondamentalement, la personne particulière qui se pose en face de l'univers, celle de la pensée créatrice du langage, celle du moi pensant et parlant. À partir de cette personne particulière se construisent successivement, par marche au large, d'abord la personne de vis-à-vis, celle de l'allocutaire, particulière mais sujette à varier, puis, plus loin, la personne large de tout ce dont il est possible de parler, la personne de troisième rang, capable de varier en genre et en nombre, et pouvant aller jusqu'au très large de la personne animée indéterminée dont le signe est le pronom sujet on.
Dans la perspective contrastive qui est la nôtre, il est nécessaire de préciser quelle est la spécificité du système de la personne en italien. Dans cette langue, comme l'écrit Gérard Moignet à propos de l'ancien français, « la personne (est) assignée au verbe, intégrée en lui, sous la forme d'une morphologie terminale, celle des désinences personnelles. Le verbe (est) un prédicat-sujet » (Moignet, 1981, p. 91). Les pronoms personnels sujets sont utilisés en italien dans deux cas essentiellement: pour des raisons d'expressivité d'une part, et pour éviter des ambigüités d'autre part. Seule la forme impersonnelle ne peut pas avoir de pronom, si ce n'est dans l'italien de Toscane, qui « usa pronomi « vuoti », che non si riferiscono a nessun soggetto, ad esempio con i verbi meteorologici e con gli impersonali: e'piove, e'mi pare che basti » (Lorenzetti, 2009, p. 93).
Pronoms personnels du plan nominal et du plan verbal
Nous devons enfin ajouter que Gustave Guillaume (Guillaume, 1982) distingue des pronoms personnels qui appartiennent au plan nominal et des pronoms personnels qui appartiennent au plan verbal. Les pronoms personnels qui appartiennent au plan nominal ont pour caractéristique de pouvoir avoir une fonction prépositionnelle d'une part (c'est pour eux, mais pas: *c'est pour leur), et de pouvoir être expressifs d'autre part (Eux lisent, mais pas *Leur lisent). Les pronoms personnels du plan verbal n'ont aucune de ces propriétés et ne sortent pas du plan du verbe (je lis). Un pronom comme lui a pour particularité de relever aussi bien du plan nominal (Lui lit ; c'est pour lui), que du plan verbal (je lui parle).
Le système du pronom personnel français de troisième personne
Les pronoms personnels sujets du français distinguent tous le masculin du féminin, au singulier comme au pluriel: il lit, elle lit, ils lisent et elles lisent. Mais leur fonctionnement, selon qu'ils sont masculins ou féminins, n'est pas le même. Si il et ils relèvent du plan verbal et ne peuvent pas en sortir, en revanche elle et elles peuvent être aussi bien des pronoms du plan verbal (elle lit) que des pronoms du plan nominal (c'est grâce à elle). À cela il y a une raison que Gustave Guillaume a bien vue: c'est que elle n'est pas le féminin du pronom il, mais le féminin du pronom lui (Guillaume, 1982, p. 85), lequel peut également avoir une fonction prépositionnelle (c'est grâce à lui) et une fonction expressive (lui lit ; la fonction expressive de elle ne peut être obtenue que par le redoublement de ce pronom personnel: elle, elle lit). Eux, que nous n'avons pas commenté, appartient au plan nominal et est l'équivalent masculin pluriel de elles.
Les pronoms complément d'objet direct le, la et les correspondent d'un point de vue sémiologique à l'article et constituent des après de ce dernier ; à le livre correspond je le lis, à la revue correspond je la lis, et à les livres correspond je les lis. Les articles et les pronoms personnels complément d'objet direct appartiennent donc à un même mouvement de pensée, où les articles sont une saisie précoce de l'idéogénèse, et où les pronoms personnels complément d'objet direct sont au contraire une saisie tardive de cette dernière, puisqu'ils n'ont pas besoin d'un complément de matière d'une part, contrairement à l'article (on ne peut avoir l'article le sans un nom qui le suit en discours), et puisqu'ils reprennent une incidence déjà achevée d'autre part (dans le livre, je le lis, le pronom personnel le reprend bien un entier de discours déjà réalisé, le livre).
On observe dans le système français des pronoms personnels complément d'objet direct une spécificité: contrairement à l'italien, ou à l'espagnol ou au portugais, qui distinguent au pluriel le masculin du féminin (li et le en italien, los et las en espagnol et os et as en portugais), le français n'a qu'une seule forme les: les livres, je les lis ou les revues, je les lis. Pourquoi la distinction du masculin et du féminin, présente au singulier, n'est-elle pas également présente au pluriel ?
L'idée de singularité est une idée de particularisation et le pluriel une idée d'universalisation: le singulier correspond à un être ou un objet que la pensée est parvenue à individualiser, alors que le pluriel, qui est un après du singulier, multiplie cet être ou cet objet individualisé dans un mouvement de pensée d'universalisation.
Or, la particularisation exige que l'être ou l'objet soit le plus individualisé possible, et c'est pour cette raison que l'article et le pronom personnel singuliers vont refléter son genre, masculin ou féminin. Mais lorsque l'être ou l'objet devient multiplié dans un mouvement de pensée d'universalisation, il est également désingularisé, et la conséquence de cette désingularisation est que le pluriel ne marque plus le genre, ressenti en contradiction avec l'idée de pluralité.
Il nous faut pour finir observer les pronoms complément d'objet indirect lui et leur. Ces deux pronoms ont en commun de ne pas marquer le genre, puisqu'ils peuvent aussi bien renvoyer à un ou des masculins (il y avait mon ami et je lui ai parlé ; il y avait mes amis et je leur ai parlé) qu'à un ou des féminins (il y avait mon amie et je lui ai parlé ; il y avait mes amies et je leur ai parlé). Mais lui et leur ne sont pas construits de la même façon. En effet, lui est construit à partir du pronom masculin singulier sujet du plan nominal et leur est construit à partir du déterminant possessif pluriel.
Lui, s'il marque le genre dans le plan nominal, où il ne peut être que masculin, ne marque plus ce genre dans le plan verbal, où il peut être masculin ou féminin. Pourquoi, alors qu'il est masculin lorsqu'il est sujet, lui perd-il son genre lorsqu'il est complément d'objet indirect ?
Le sujet correspond à la fonction principale de la phrase, et, comme tel, il est logique de préciser son genre. Il en va de même pour le complément d'objet direct (exception faite du complément d'objet direct pluriel français que nous venons de commenter), qui est l'inverse de la fonction sujet et qui, traditionnellement et de façon prototypique, est « affecté » par l'action. Mais contrairement à ces deux fonctions principales, le complément d'objet indirect participe beaucoup moins à l'action: il est celui qui bénéficie d'une action, celui à qui l'action s'adresse, etc., et il constitue un après des fonctions de sujet et de complément d'objet direct en chronologie de pensée, d'où le fait qu'il neutralise le genre marqué par les deux fonctions précédentes (mais en espagnol, où l'on a, comme en français, un seul pronom personnel complément d'objet indirect, le au singulier et les au pluriel, les locuteurs ressentent la nécessité de restituer la distinction du genre, d'où le loísmo et le laísmo, que l'on retrouve essentiellement dans l'espagnol d'Espagne).
Il en va de même pour leur, et l'on ajoutera qu'ici l'analogie avec le pronom complément d'objet direct du pluriel, qui ne marque pas non plus le genre, comme on l'a vu, joue peut-être aussi un rôle. Mais la particularité de leur est d'être également un déterminant possessif, qui ne garde que l'idée de pluralité de ce dernier lorsqu'il est employé comme pronom personnel complément d'objet indirect, ce qu'a bien vu Gustave Guillaume (1982, p. 96):
Dans l'emprunt qui est fait du mot leur pour combler un vide sémiologique laissé dans le système des pronoms intra-verbaux, il n'est retenu de ce mot que ce qu'il a en lui d'invariant: la pluralité subjective, celle des possesseurs, et cette pluralité subjective étant déjà exprimée complètement par la forme de singulier leur, c'est sous cette forme que le mot en question est entré dans la sémiologie des pronoms intra-verbaux.
Du point de vue idéogénétique, leur déterminant est donc un avant de leur pronom personnel complément d'objet indirect pluriel.
Le système du pronom personnel italien de troisième personne
L'italien connaît plusieurs pronoms personnels sujet: egli, ella, esso, essa, lui et lei pour le singulier, et essi, esse et loro pour le pluriel. Marcello Sensini et Federico Roncoroni (1990, p. 182) résument ainsi les recommandations de la grammaire traditionnelle au sujet de l'utilisation de ces pronoms:
La grammatica, dunque, prescrive per il maschile singolare l'uso di egli in riferimento a una persona (« Non rivolgerti a Paolo: egli non sa nulla ») e di esso in riferimento a un animale oppure a un oggetto (« Laura cercò di trattenere il cane, ma esso si era ormai avventato contro lo sconosciuto »). Per il femminile singolare, invece, prescrive ella (o anche essa) in riferimento a una persona (« Anna veniva a scuola con me, ma ora ella si è trasferita in un'altra città ») ed essa in riferimento a un animale o a un oggetto («Non sprecare questa vernice: essa è molto costosa »). Per il plurale, infine, la grammatica prescrive l'uso di essi per il maschile e di esse per il femminile, in riferimento sia a persone sia ad animali od oggetti («Le mie cugine sono più grandi di me: esse, infatti, sono già all'università »).
Mais Marcello Sensini et Federico Roncoroni précisent aussitôt que
(t)utte le forme di pronomi personali suggerite dalla grammatica, però, sono ormai sentite como preziose e letterarie e, quando ci si riferisce a persone, nei testi di livello medio sono molto più usati, anche in funzione di soggetto, lui, lei e, per il plurale, loro, cioè i correspondenti pronomi complemento di forma forte [...].
(ibid.)
Parmi ces formes, seul loro n'est pas seulement pronom personnel, puisqu'il peut également être déterminant possessif pluriel, comme le leur français.
Les pronoms personnels complément d'objet direct marquent tous le genre en italien, puisque l'on aura aussi bien à propos de il libro, lo leggo et de la rivista, la leggo qu'à propos de i libri, li leggo et de le riviste, le leggo. Comme en français, lo, la, le et gli (très proche phonétiquement du pronom personnel complément d'objet direct pluriel li) sont également des articles et constituent dans ce cas un avant de leur fonction de pronoms personnels supplétifs. Lo et gli ne sont toutefois pas les articles les plus courants en italien, puisqu'ils ne sont employés que dans certaines conditions, « con i nomi maschili, davanti a parole inizianti per vocale, davanti a parole inizianti per x, y, z, s preconsonantica, gn, pn, ps, sc e davanti alle semivocali i (cioè con la vocale i seguita da un'altra vocale) e j » (Sensini et Roncoroni, 1990, pp. 65-66). L'italien a donc comme pronoms personnels complément d'objet direct lo et li au lieu de il et i, formes ressenties comme trop brèves phonétiquement par rapport à leur matière, qui est celle d'un pronom supplétif, matière plus pleine que la matière d'un article. On peut également penser que lo et li se sont rapprochés par analogie, puisque tous deux sont des articles qui s'opposent à il et i par leur contexte phonétique d'apparition.
Parmi les pronoms personnels complément d'objet direct, certains sont également complément d'objet indirect: le pronom complément d'objet direct pluriel féminin le, qui est également pronom complément d'objet indirect au singulier pour le féminin (Quando la vedo e le parlo mi batte fuortissimo il cuore e impazzisco (Internet)), et le pronom complément d'objet direct pluriel masculin li, que l'on retrouve, avec la forme gli, comme pronom personnel complément d'objet indirect singulier masculin (Gli ho detto che mi piace... ma ora ? (Internet)) ou, en italien familier, féminin, et, dans la langue orale, comme pronom personnel complément d'objet indirect pluriel (Li chiamò e gli disse tutta la verità, pour reprendre l'exemple que donnent Marcello Sensini et Federico Roncoroni, qui notent qu'il s'agit là de la généralisation d'un emploi toscan (1990, p. 186) ; voir également Merger Leandri, 2005, p. 57). On voit d'emblée l'analogie entre ces formes: le pronom personnel complément d'objet direct du masculin et du féminin pluriel est utilisé comme pronom personnel complément d'objet indirect du masculin et du féminin singulier, lequel est, du point de vue de sa chronologie fonctionnelle, un après du complément d'objet direct. Le et gli ont donc un cinétisme très particulier, puisqu'ils sont d'abord articles du pluriel, puis pronoms personnels complément d'objet direct du pluriel, et enfin complément d'objet indirect singulier ou, pour gli, dans la langue parlée, pluriel également, cette capacité qu'a gli d'être complément d'objet indirect pluriel s'expliquant par le fait qu'il est essentiellement ressenti comme un pluriel par son phonétisme en i et par ses fonctions principales (article défini pluriel et pronom personnel complément d'objet direct pluriel). En outre, comme l'a bien vu Paolo D'Achille (2010: 130), si gli remplace souvent loro en fonction de complément d'objet indirect, c'est également parce que loro est bisyllabique et placé après le verbe, contrairement aux autres pronoms personnels (mi ha detto, ti ho detto, ci ha detto, vi ho detto, mais ho detto loro).
Précisons également que l'italien méridional et sicilien, où l'on trouve lo voglio bene ou la telefono pour gli voglio bene ou le telefono, remplace fréquemment les pronoms personnels complément d'objet indirect par les pronoms personnels complément d'objet direct (Trifone, 2011, p. 71), lo ou la étant davantage ressentis comme masculin et féminin que gli et le.
La forme loro, enfin, peut être essentiellement sujet (Loro ci hanno aiutati), complément d'objet indirect (Ho detto loro di leggere questo libro), ou complément circonstanciel (Grazie a loro abbiamo potuto venire). Loro neutralise le genre, puisqu'il peut renvoyer, dans une phrase comme Loro ci hanno aiutati, aussi bien à des hommes qu'à des femmes ou des hommes et des femmes, ce que l'on peut expliquer, encore une fois, par le fait que le genre est une idée particularisante, sentie en opposition avec la pluralité à laquelle renvoie loro. Du point de vue du temps opératif, la chronologie de pensée de loro est la suivante: 1) loro est déterminant, et doit être précédé d'un article (il loro libro), sauf dans le cas des noms de parenté (loro madre) ; 2) loro est pronom personnel sujet ; 3) loro est pronom personnel complément d'objet indirect ; 4) loro est complément circonstanciel, le complément circonstanciel étant un après du complément d'objet indirect dans la mesure où le complément d'objet indirect est un actant obligatoire de la valence du verbe, alors que le complément circonstanciel est facultatif.
On notera pour finir la simplification du système des pronoms personnels de troisième personne en italien contemporain, qui se caractérise donc, si l'on tient compte de la langue parlée, par la perte de certaines distinctions de genre (gli ho detto pour le ho detto) ou de nombre (gli ho detto pour ho detto loro), ainsi que par la perte de vitalité de loro complément d'objet indirect.
Les pronoms y et ci
Le français et l'italien ont deux pronoms y et ci, qualifiés de pronoms adverbiaux, qui peuvent renvoyer à l'espace, mais également à un antécédent neutre ou animé et, pour ci, être pronom personnel réciproque, complément d'objet direct ou complément d'objet indirect de la première personne du pluriel. Il convient donc de reconstruire le mouvement de pensée de chacun de ces mots.
Le français y
Y peut renvoyer, lorsqu'il est pronom adverbial, à l'espace (Milan, j'y suis allé quelques jours), mais il connaît également deux autres emplois: un emploi régional connu sous le nom de y « bourguignon » où y peut essentiellement reprendre un antécédent neutre et est complément d'objet direct, et un emploi où y peut renvoyer à un antécédent neutre ou animé et est essentiellement complément d'objet indirect.
Si le y pronom adverbial vient en premier dans l'idéogénèse (c'est l'espace qui s'impose le premier dans la pensée et duquel cette dernière s'abstrait progressivement2 1), le y bourguignon vient ensuite : J'y ai lu dans une revue, au lieu de: Je l'ai lu dans une revue. Selon Isabelle Fougères et Maria Candea (2011, p. 52), ce y garde un sens déictique, d'où le fait que sa saisie se situe juste après un premier mouvement de pensée spatial, celui du y pronom adverbial à valeur locative. Le y bourguignon peut avoir un antécédent inanimé ou neutre et, comme l'ont montré Isabelle Fougères et Maria Candea, il s'agit plus précisément d'un « pronom de l'indistinct » (2011, p. 51). Les auteurs caractérisent comme suit le y bourguignon à la fin de l'article qu'elles y consacrent (2011, p. 52):
Nos exemples montrent de façon régulière une zone d'indétermination dans la construction de la référence liée à la présence de y, mais aussi un certain décalage entre ce qui pourrait être l'antécédent et le référent construit par ce pronom dépourvu de toute marque de nombre ou de genre. Le décalage peut concerner le mode d'identification, la nature du référent, la catégorisation... et la tendance est toujours à rajouter de l'imprécis ou de l'indistinct, ce qui est loin d'être un obstacle à l'intelligibilité des énoncés car ceux-ci sont toujours très fortement ancrés dans la situation présente, dans la réalité saillante, dans ce qui est partagé au moment de l'énonciation.
Si le y bourguignon peut avoir une source clairement exprimée, comme dans cette phrase où y est cataphorique: J'y sais bien, que tu dois venir, il peut également avoir un antécédent très flou, comme dans la phrase
qui suit, prononcée par une cliente qui a fait tomber son sac dans un étal: J'y sentais venir, qu'Isabelle Fougères et Maria Candea (2011, p. 51) paraphrasent de la façon suivante: je sentais venir la chute du sac, le geste maladroit ou la mauvaise position qui allait provoquer un enchaînement malheureux, le fait d'avoir des ennuis en faisant trop de courses en une fois, etc.
Le pronom y, quand finit l'idéogénèse, est essentiellement pronom personnel complément d'objet indirect, et correspond donc, chronologiquement, à un après du complément d'objet direct, fonction qui était la sienne lors de la saisie précédente. Y peut également désormais renvoyer à un antécédent neutre comme à un antécédent animé, comme on le voit dans les deux phrases qui suivent: Votre ami Emmanuel Des Combes m'a dit, un jour, à la fin d'une représentation: « La grandeur de votre métier, c'est de tutoyer les chefs-d'œuvre ». J'y ai pensé depuis (Georges Duhamel, Chronique des Pasquier, d'après Frantext) ; Ses amies, elle y pense en permanence.
Du point de vue de l'idéogénèse, y pronom personnel complément d'objet indirect avec un antécédent animé constitue nécessairement une saisie plus tardive dans l'idéogénèse que y pronom personnel complément d'objet indirect avec un antécédent neutre, puisqu'ici l'animé peut effectivement « être vu comme une animation de l'inanimé » (Monneret, 2003, p. 58)3 .
L'italien ci
L'italien ci peut, comme le français y, être pronom adverbial et renvoyer à l'espace, mais il peut également être pronom réciproque, complément d'objet direct ou indirect de la première personne du pluriel, être pronom personnel de troisième personne avec un antécédent neutre, et également pronom personnel de troisième personne avec un antécédent animé ou inanimé, ci remplaçant alors les pronoms personnels complément d'objet indirect gli, le ou loro ou un complément circonstanciel4 .
Si ci, lorsqu'il renvoie à un lieu, vient en premier dans l'idéogénèse comme en français (Milano quando sono lontano voglio tornare, Milano quando ci sono voglio scappare (Internet)), comment cette dernière continue-t-elle ?
Ci, quand il est pronom adverbial de lieu, a une valeur déictique. Or, c'est cette valeur déictique qui relie ci pronom adverbial de lieu à son après idéogénétique, ci pronom personnel de première personne du pluriel. En effet, si ci quitte le domaine de l'inanimé, puisqu'il renvoie désormais à des personnes et non à un lieu, il appartient toujours au système de l'énonciation, contrairement à ci pronom personnel de troisième personne. Ci peut être pronom réciproque (Ci siamo piaciuti tanto, fin da subito (Scarpa, 2012, p. 46)), complément d'objet direct (Siamo come ci vedono o come ci vediamo noi ? (Internet)) ou complément d'objet indirect (Ci piace Milano).
Ci pronom personnel de première personne du pluriel vient également avant ci pronom personnel de troisième personne pour une autre raison. La première personne du pluriel, comme nous l'avons vu au sujet de la première personne du singulier, est le résultat d'un premier mouvement de pensée au terme duquel le je s'est particularisé à l'intérieur de l'universel et s'est multiplié (nous est en effet nécessairement un après de je, puisque le pluriel est un après du singulier). Ci renvoie alors à deux personnes: à une personne qui parle d'une part, et qui parle d'elle-même d'autre part, comme on l'a vu précédemment. Or, ci se vide de la notion de personne qui parle pour ne plus garder que la notion de personne dont il est parlé quand il devient pronom personnel complément d'objet indirect ou complément circonstanciel de troisième personne dans un second mouvement de pensée. Il peut alors renvoyer à une ou plusieurs personnes: E tua madre, ci hai parlato ? (Benvenuti al sud) ; Certo che li conosco: ci (= con loro) vado a scuola assieme (Sensini et Roncoroni, 1990, p. 191).
Puis ci se vide encore de la notion de personne pour ne plus faire référence qu'à un antécédent inanimé, comme dans cette phrase que citent Marcello Sensini et Federico Roncoroni (1990, p. 191): Vedi questa bici ? Ci (= con essa) faccio delle corse !
Enfin, ci a un antécédent neutre lors de la dernière étape de l'idéogénèse, où il s'est définitivement éloigné de l'idée de personne:
Ida era la mia anima gemella. Non c'è altro da dire. E, se ci pensi, è una cosa da non credersi. Primo, che la tua anima gemella esista. Secondo, che tu la incontri davvero. (Scarpa, 2012, p 38)
Si ci construit donc dans un premier mouvement de pensée l'idée de personne, et d'une personne maximale en quelque sorte puisqu'il s'agit non seulement d'une personne qui parle et qui parle d'elle-même, mais également d'une personne pluralisée, il déconstruit dans un deuxième mouvement de pensée cette idée de personne pour retourner finalement à l'inanimé et au neutre.
Conclusion
Nous avons étudié dans cet article les pronoms personnels de troisième personne en français et en italien, essentiellement à partir de la psychomécanique du langage. Après avoir résumé les grands principes sur lesquels se fonde cette dernière, nous avons rappelé la théorie guillaumienne des pronoms complétifs et supplétifs, et nous avons vu que dans bien des cas les pronoms personnels de troisième personne étaient sémiologiquement identiques à un déterminant, dont ils constituaient alors un après idéogénétique. Nous avons ensuite situé les pronoms personnels de troisième personne par rapport aux pronoms personnels de première et de deuxième personne: si ces derniers réunissent en eux deux personnes, une personne qui parle et qui parle d'elle-même et une personne à qui l'on parle et à qui l'on parle d'elle-même, en revanche les pronoms personnels de troisième personne ne gardent que l'idée de personne dont il est parlé, ce qui fait de il un après de je et de tu. Nous avons dans un deuxième temps étudié de façon détaillée les pronoms personnels de troisième personne du français et de l'italien dans une perspective contrastive. Cette perspective contrastive s'est révélée particulièrement intéressante lorsque nous avons comparé les pronoms français y et italien ci dans notre dernière partie. Nous avons vu que l'idéogénèse de y commence avec y pronom adverbial de lieu, continue avec le y bourguignon, qui ne peut qu'être complément d'objet direct et avoir un antécédent neutre ou inanimé, et finit avec y complément d'objet indirect, qui peut renvoyer à un antécédent neutre ou animé. Le mouvement de pensée de ci commence quant à lui avec ci pronom adverbial, continue avec ci pronom personnel réciproque, complément d'objet direct ou complément d'objet indirect de première personne du pluriel, et ci se vide ensuite peu à peu de la notion de personne pour signifier d'abord la personne dont on parle mais qui n'appartient plus à la situation de communication, puis pour renvoyer à un antécédent inanimé et, enfin, à un antécédent neutre.
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2 Dans des tournures lexicalisées comme fr. J'y suis ! ou it. Ci tengo !, y et ci ont un sens spatial abstrait et correspondent donc à une saisie précoce de y et ci avec un sens spatial plein.Bibliographie
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Œuvres citées
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